Les moules ont le rythme dans la coquille

On a longtemps pensé que les environnements profonds, dépourvus de lumière à plus de 1000 m sous la surface, étaient des univers « arythmiques ».  Alors que les rythmes circadiens, liés à l'alternance jour/nuit, ont été rapportés dans tous les groupes du vivant chez les organismes terrestres, et que les organismes marins côtiers montrent des rythmes liés à la marée, nous ignorions jusqu'à présent si le temps pouvait être déterminant dans la physiologie des animaux des grands  fonds. Depuis une vingtaine d’années pourtant, des signaux de marée sont observés au niveau des cheminées hydrothermales que nous étudions. Grâce aux observatoires des grands fonds, positionnés sur la ride médio-Atlantique (EMSO Açores) et sur la dorsale Juan de Fuca dans le Pacifique, nous avons pu constater que certains organismes ajustaient leur comportement au gré des marées (Cuvelier et al., 2014; Lelièvre et al., 2017). D’autres études ont montré que des stries de croissance apparaissaient sur les coquilles des modioles, toujours  en lien avec le cycle des marées (Nedoncelle et al., 2015; Schöne & Giere, 2005).  Autant d’indices qui nous laissaient penser que ces dernières pourraient jouer un rôle déterminant sur le fonctionnement des communautés hydrothermales, ce que nous avons cherché à démontrer dans notre étude.

Après avoir vérifié l’existence d’un rythme dans le comportement de la modiole Bathymodiolus azoricus, star de Lucky Strike, nous avons mis en place une stratégie d’échantillonnage originale afin de déterminer si l’expression des gènes s’alignait aussi sur le cycle des marées. Pour cela, les prélèvements ont été réalisés sur une fenêtre de temps bien précise équivalente à 24h48, à raison d’un prélèvement toutes les 2h 4 min, correspondant au rythme des marées, ce qui était déjà un défi en soi avec un submersible ! Nous avons également travaillé sous lumière rouge puisque nous ne savions pas si ces animaux pouvaient percevoir la lumière. Autre nouveauté de cette étude: les modioles ont été « fixées » immédiatement sur le fond dans une solution hypersaline afin d’éviter que les gènes exprimés par l’animal ne soient modifiés par le stress de la remontée. Les résultats montrent qu’au niveau moléculaire, à 1700 m de profondeur, le transcriptome temporel (soit l'ensemble des gènes exprimés et qui donnent une photo de l’état physiologique d’un organisme à un instant « t ») présente des oscillations dont la période correspond bien à celle de la marée. Cette étude a été la toute première à révéler l’existence, in situ, de rythmes biologiques à la fois au niveau du comportement et par séquençage moléculaire, sur une espèce des grands fonds (Mat et al., 2020). Allez découvrir les coulisses de cette aventure : https://go.nature.com/3m0LwPH.

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References

Cuvelier, D., Legendre, P., Laes, A., Sarradin, P.-M., & Sarrazin, J. (2014). Rhythms and Community Dynamics of a Hydrothermal Tubeworm Assemblage at Main Endeavour Field–A Multidisciplinary Deep-Sea Observatory Approach. PloS One, 9(5), e96924.

Lelièvre, Y., Legendre, P., Matabos, M., Mihaly, S., Lee, R. W., Sarradin, P.-M., Arango, C. P., & Sarrazin, J. (2017). Astronomical and atmospheric impacts on deep-sea hydrothermal vent invertebrates. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 284(1852). https://doi.org/10.1098/rspb.2016.2123

Mat, A. M., Sarrazin, J., Markov, G. V., Apremont, V., Dubreuil, C., Eché, C., Fabioux, C., Klopp, C., Sarradin, P. M., Tanguy, A., Huvet, A., & Matabos, M. (2020). Biological rhythms in the deep-sea hydrothermal mussel Bathymodiolus azoricus. Nature Communications, 11(1), 1–12. https://doi.org/10.1038/s41467-020-17284-4

Nedoncelle, K., Lartaud, F., Contreira Pereira, L., Yücel, M., Thurnherr, A. M., Mullineaux, L. S., & le Bris, N. (2015). Bathymodiolus growth dynamics in relation to environmental fluctuations in vent habitats. Deep-Sea Research Part I: Oceanographic Research Papers, 106, 183–193. https://doi.org/10.1016/j.dsr.2015.10.003

Schöne, B. R., & Giere, O. (2005). Growth increments and stable isotope variation in shells of the deep-sea hydrothermal vent bivalve mollusk Bathymodiolus brevior from the North Fiji Basin, Pacific Ocean. Deep Sea Research Part I: Oceanographic Research Papers, 52(10), 1896–1910. https://doi.org/10.1016/j.dsr.2005.06.003